21.04.11

je me rappelle avant que mes parents n’en changent (avant qu’en vrac et pour jamais s’éclipsent le carrelage mosaïqué bleuet, menteusement veinulé le formica puce et crème, l’ampoule à nu, le plastique où mes cuisses collent en été), l’évier chemin de t*, je m’en rappelle l’émail, le brise-jet sans parvenir pour autant à me revoir y lançant d’en bas car alors je suis très enfant, sous prétexte de prendre part aux travaux de la cuisine et pour qu’ensuite elle les lave, les pommes de terre que ma mère à mesure épluche à la table (il se peut cependant que je me souvienne de ce son sans écho rendu par les patates beurre frais à l’atterrissage).

« (l’artiste ne doit-il pas avoir laissé un pied dans son enfance, et projeté l’autre dans sa tombe ?) »

nuit.
qui m’accompagne scrute, qui me flanque, depuis le fond du taxi les putes noires de la rue doudeauville. j’épie quant à moi les sanglées aux chairs cachou, la peau tabac, je lorgne leurs gros seins contraints, leurs gros seins asphyxiés plein les embrasures.

je diffère infiniment mon départ comme si je m’en allais loin et longtemps.

je me rappelle à c* le lavabo (c’est auparavant la bassine en fer-blanc dans la salle, le menu corps sans poil qu’on y plante pour le savonner au gant, le frotter, le rincer sans souci de la petite fente, de sa très douce obscénité) pour mon extase à le découvrir un été casé, vasque et cuivre, son bataclan de tuyaux, dans le placard de ma chambre – le matin je chois (chaque soir littéralement je m’y hisse – il faut pour mériter d’y coucher le gravir, après quoi je gis la nuit entre un matelas sur lequel aujourd’hui je me romprais les os et un drap comme pierre) du lit pour au grand large ouvrir les portes sauge et l’admirer – à l’inverse il y a le pôle merdeux de la maison, les tinettes à l’arrière et leur clapet, leur broc, leur vieille brosse, où j’excrète avec la très très âpre crainte qu’une araignée me rogne le cul.

3 commentaires:

moreaudom a dit…

Toute une vie d'hier, d'aujourd'hui et de demain ramassée en quelques phrases magnifiquement ciselées (comme toujours !). Je doute que je m'en lasse. Encore, Damoiseau Momont !

Anonyme a dit…

et vous ciselez le mot divinement bien.

Anonyme a dit…

Phrases ciselées, oui.
Odeurs,sons,images... le présent qui s'invite comme s'il voulait court-circuiter le passé.
J'aime.
(nous disions : journalier, non ? ;-))
J.