04.12.09 : les vases communicants : robinson en ville

pour les explications « techniques » relatives aux vases communicants, voir le billet d’hier.
pour le reste : voici donc robinson chez bibi et puis bibi chez robinson.
dire encore, avant de lui céder la place, l’infini bien que j’en pense. l’émoi tenu qu’il affile, l’écorchure avec le tact. sobre imparablement et la mélancolie. le plus précieux des quant-à-soi. la sensation très vive. robinson quand il écrit m’incise. et j’adore ça.
bref robinson c’est bath, lisez-le :

« En arrivant dans ce fourbi je vois des animaux et de l'enfance, alors il défile des images revenues. Très vite, d’abord les images familières, domestiquées, et puis d'autres : franches, sans brides, encore ensauvagées, qui débaroulent pour la première fois, qui piaffent, qu'il faut monter à cru.

Parmi les plus calmes sont les chats venus du jardin, demeurant dans la maison comme leur semblait bon, se laissant donner des noms. Faisant des petits dans les paniers à linge, sous l'escalier, sur le charbon du cellier. Tous morts aujourd'hui, nos vies n'ont pas la même échelle, quelques-uns enterrés dans la terre brune, tués par les voitures, les chiens, la mort-aux-rats. Le barbelé qui éventre, l'âge, le souffle au cœur.
Vient le chien, grosse bête noire et soumise, sa longue vieillesse, et avec lui les larmes qui brûlent le visage quand il faut lui donner le dernier biscuit, lui caresser le museau, l'embrasser pour la première fois depuis longtemps et c'est aussi la dernière, tandis que le père attend dans la voiture pour aller chez le vétérinaire. Dans l'oreille d'enfant ce verbe : “Le chien, on va le ferpiquer”.

Puis les chevaux, avec leur bouche grande, leurs pattes trop maigres et leur violence peureuse, attirail de sabot, de dent, d'œil fou. Herbivores féroces. C'est pourquoi sur leur dos on est heureux. Chez l'oncle Roland la jument est si placide qu'on ne dirait pas un cheval, pas assez imprévisible. Ses molaires broient du pain avec un bruit de sable. Sous ses dents l'herbe sonne comme du bois brisé. Elle bave vert.

Puis les fossiles. Dans le muséum intime rangés parmi les animaux, les monstres, et les bêtes. Avec le cousin Jean qui est à la retraite, on grimpe dans les carrières laissées par la mine, sur les flancs des terrils gris, à ramasser des nodules qu'on fend au marteau, cherchant l'empreinte légère, noire et brillante sur la pierre grise et douce, sédiment peau de pêche : je vois quelquefois des plantes, fougères énormes, feuilles comme des aiguilles, troncs à segments, bords coupants, barbus de pointes, vernissés, mais d'animaux jamais.
Chez le cousin, dans le sous-sol en ciment de sa maison, les pierres entassées dans des cagettes avec du papier journal, ses trouvailles : ici les monstres, des bêtes incroyables, pas toujours grosses, mais toujours ahurissantes, cauchemardesques sans la peur, belles et compliquées comme des rêves. Rêves matériels et solides, apparemment, et plus durables et plus anciens que nous.
Et même les silex de l'oncle Daniel, ils passent dans cette galerie d'animaux, ceux qu'on allait chercher dans les cailloux entre les pieds de vignes, en s'esquintant sur les coteaux, sous l'aplomb des rochers. Des hommes que je vois comme des animaux les avaient maniés avant nous, comme nous, mieux que nous. Eux, pour tuer ; nous, pour essayer de comprendre, et nous rappeler comment on faisait quand on avait moins vingt-mille ans.

(Pour mettre les fossiles et les silex en pensée dans le même courant d'images que les animaux, il faut avoir des animaux une définition très large, très extensive, me dis-je, et cherchant leur point commun je vois : la peau épaisse, la peau dure, la peau velue, contre quoi l'humanité c'est la peau nue, tendre, fine.) »

2 commentaires:

cjeanney a dit…

Il incise, bé oui ah, je comprends. J'adore. La description des chevaux est maintenant dans ma tête

Anonyme a dit…

je viens du même pays que lui sans doute car je suis avec lui dans les odeurs des bêtes (toutes les bêtes, même en pierre) dont il ne parle pas mais qui sont pourtant là, dans l'alentour des signes. Magnifique.