08.05.11

viennent ici quand j’y suis, toujours, un jour ou l’autre les souvenirs de guerre. depuis l’enfance elle m’en dit mille, j’en sais mille, j’en oublie mille, elle dit et redit mille, nous jouissons dès longtemps de ces antiennes – à sa mort, à la mienne il ne restera rien.

et c’est ce soir sa sœur lors de l’évacuation, sa sœur à dix-huit ans lancée, pour moi seule propulsée – la quantième fois donc ? – à travers le pays de caux où l’on tâche à bâter un âne, où l’on débâte un âne cause que cet âne comme on dit que volontiers les ânes font décrète en dépit des efforts une inertie parfaite – il faudra plein ses mains se fader le fourbi, on se fade, on va sur les routes ainsi que je vois à un demi-siècle de distance faire aux comédiens de cinéma ou de télévision, sa sœur sillonne pour moi la normandie, sa sœur va, l’ignorant, au-devant des boches, bat le pays dit de caux, va sous les coiffures à bourrelet de crin, aux mains de la valise ou du ballot, continue d’aller comme des coucous fritz apparaissent, ascensionnent dans les ciels, comme ils piquent ensuite et canardent : sa sœur entend à dix-huit ans des blessés, voit des morts. autant dire : à nos yeux : de la pellicule cellulo, mille fois sue, vue, de l’une à l’autre oubliée n’était qu’à moi, dès toujours elle révèle que dans les prés pomme au long desquels on va plein le pays de caux, les vaches hurlent de n’avoir pas été traites, elle dit à moi les pis gros, veinés, outrés ; leur œil effaré ; la gueule au très grand large ouverte et puis meuglant depuis l’âme au bord des morts mitraillés par les ciels – on finit, dit-elle encore, par les soulager, les hommes un à un actionnant un à un les trayons de sorte qu’au lieu de mieux on se nourrit de lait, on accourcit sa vie au boire ou au marcher, sa sœur à force en est malade : elle régurgite – aligne à dix-huit ans les rototos comme un bébé.

il arrive à mes yeux, à mes oreilles, sur fond prairie que la guerre se résume à une vache qui ainsi bée, repue d’âme et d’effroi, véhémentement, dans mon songe endentée jusqu’au fond de la gueule, combien tragique à la façon des souris chicotant d’art spiegelman.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'avais écrit un commentaire, recopié le mot impossible (ce soir c'est "skepott" le mot de passe !)et patatra, message d'erreur, éjection immédiate sans parachute. Il était pourtant bien mon commentaire, admiratif, ému. Chamboulée deux fois j'étais,par le texte et par l'indélicatesse du videur. Après, impossible de recommencer. Faut de la spontanéité. (J)